Adieu et merci

PIERRE WININGER

L'auteur de BD Pierre Wininger est décédé le jour de Noël.

Je ne le connaissais pas personnellement, mais j'éprouve une réelle tristesse. Déjà parce que j'adore ses albums, particulièrement les trois "Evergreen". Mais surtout parce que, en tant qu'auteur, je lui dois la première étape décisive de ma compréhension de la Bande Dessinée. En effet, c'est en 1980, dans le journal Okapi que j'ai découvert que les BD ne se faisaient pas toutes seules. J'avais 10 ans, et j'ai lu et relu 1000 fois tous les conseils donnés par Pierre Wininger au très jeune auteur que j'étais. Ces 12 pages de l'Univers d'Okapi, je les ai toujours, et je les garde très précieusement, comme un fétiche porte bonheur.

Merci Monsieur Wininger, je ne vous oublierai jamais.

Quelques Liens:
- Fichier PDF:Univers d'Okapi 215
- Nécrologie: bdzoom.com

Denis Bajram

Le samedi 28 décembre 2013

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Univers d'Okapi n°215 (1980)
© Bayard presse.
Conseil d'orientation

TOUT SAUF UN MÉTIER ?

Un cousin m'a écrit pour avoir des conseils pour son fils, qui, à 13 ans, participe avec talent à un atelier BD hebdomadaire, et qui se pose la question d'une éventuelle orientation vers le métier de dessinateur de Bande Dessinée. Je lui ai répondu, très honnêtement, ce que je pensais de l'avenir de notre profession. En relisant cette réponse, ma franchise m'a fait froid dans le dos. Et je me suis demandé si j'avais le droit de garder ma vision de l'avenir pour le cercle familial… Je copie-colle donc cette réponse ici :

« Je vais pour commencer, te faire un petit résumé de l'état de la BD, vu qu'on parle d'un avenir professionnel à plus de dix ans pour ton fils.

La BD sort de ses trente glorieuses. La croissance depuis les années 60 a été prodigieuse. C'est un des secteurs les plus toniques et les plus important de l'édition. Cette croissance a été accompagnée depuis les années 80 et 90 par une montée institutionnelle (musées, festivals etc), éducative (écoles supérieures publiques et privées) et médiatique. Bref, tout semble aller pour le mieux.

Mais depuis presque 10 ans, la croissance économique de la BD stagne alors que le nombre d'auteurs ne cesse d'augmenter. Ne serait-ce que parce que les écoles créées dans les années 90 délivrent leurs contingents de postulants tous les ans sur le marché. Comme les coûts d'impressions n'ont fait que baisser, le nombre d'albums a aussi explosé. Pour te donner une idée, il sortait 600 albums en 1995 quand j'ai commencé, alors qu'on est a près de 5000 par an aujourd'hui. Or les auteurs ne sont pas salariés, mais vivent de droits d'auteur, qui sont de 4 (s'ils sont deux) à12% du prix de vente. Un gâteau qui stagne partagé entre de plus en plus de convives, c'est des parts de plus en plus petites pour chacun. Tu l'auras compris : les revenus des auteurs sont en train de s'effondrer.

Seuls certains, dont Valérie et moi avons la chance de faire partie, touchent le gros lot. Un gros lot amplifié par le fait que, au milieu de cette pléthore de sorties, les gens se réfugient sur les valeurs sûres. Bref, les rares auteurs riches sont de plus en plus riches, et la très grande majorité de plus en plus pauvres. Autour de nous, nous assistons à une terrible paupérisation des scénaristes et dessinateurs, y compris chez des professionnels reconnus. De plus, vue l'augmentation du nombre de titres, et donc la saturation des tables de nouveautés chez les libraires, les chances d'être vu, et donc de pouvoir toucher le jack-pot pour un jeune auteur commencent à ressembler à celle d'un écrivain ou d'un musicien (proche de 0%). Et on n'a pas abordé les risques inhérents au passage de l'édition au numérique, qui va encore faire exploser l'offre, et donc baisser la vente moyenne au titre…

Bref, la BD est donc devenue, à mon avis, tout sauf un métier. C'est une passion, oui, qui continuera à rapporter aux éditeurs, oui. Mais espérer pour un auteur en tirer ne serait-ce qu'un RSA va devenir sacrément hypothétique dans l'avenir…

Je douche tes ardeurs, j'imagine. Mais je vais, de ce pas, relativiser ce triste tableau. Car ce serait ignorer que ton fils à un talent de dessinateur. Et qu'il n'y a pas que la BD qui a besoin de dessinateurs et de leur créativité visuelle. Il y a l'illustration, surtout en jeunesse (mais ira-t-elle mieux dans 10 ans que la BD ?). Il y a les décors et costumes de théâtre, de cinéma et des séries TV qui demandent du créateur visuel. Mais surtout il y a le jeu video, qui est l'industrie culturelle montante, déjà plus grosse que toutes les autres, et dont les besoins en création visuelle semblent illimités.

Je pense donc qu'il faut orienter ton fils vers une formation en art la plus large possible. Car le métier de dessinateur et de créateur est un métier de culture. Avoir des idées visuelles, c'est avant tout avoir une grande culture visuelle, la plus variée possible. Pour prendre mon exemple, j'ai appris à dessiner quasiment tout seul. Si je suis aussi installé dans mon métier d'auteur, c'est surtout grâce à la culture que m'a apporté un milieu familial favorisé suivi d'études de premier plan dans ce domaine (Beau-Arts et Arts déco de Paris). Mon dessin s'est nourri d'une capacité créative et esthétique qui manque souvent à pas mal de mes confrères, restés bloqués sur l'exercice technique du dessin.

Voilà, j'espère que ces informations et ces grands principes te permettront de réfléchir à l'orientation générale de ton fils.»

Denis Bajram

Le jeudi 21 novembre 2013

Décès de Fred

LE PETIT CIRQUE NE JOUERA PLUS

Moins d'un mois après le décès de Comès, c'est au tour de Fred de nous quitter. Encore un auteur fondamental dans mon parcours artistique. Encore une triste journée, mais qui s'éclaire de merveilleux souvenirs.

Après être revenu à la Bande Dessinée franco-belge à la fin de mon adolescence grâce à la lecture de Peeters & Schuiten, Tardi & Forest et Comès, j'ai commencé à fouiller les rayons des librairies d'occasion à la recherche d'auteurs au travail particulier. Je tombais assez rapidement sur Philhémon, que j'achetais dans la peu chère collection 16/22. Au début, je n'aimais pas le dessin, mais j'étais fasciné par son utilisation totalement libre de la structure de la planche. Et puis je fus conquis par sa poésie, par le sens de son non-sens. Et finalement par son dessin, le vecteur de toute cette merveille…

J'eus le grand plaisir et le grand privilège de l'interviewer en 1993 chez lui, au centre de Paris, en compagnie de Philippe Marcel et Johan Gauthier. C'était pour notre fanzine Le Goinfre. Ce fut un moment merveilleux, délicieux, malicieux et lumineux. De longues heures à évoquer son passé et son actualité (il venait de sortir le Corbac aux Baskets). Cela donna, après de longues heures de transcription, une belle interview, très riche, publiée dans le Goinfre n°13, le dernier numéro dont je me suis occupé. J'en profite pour remercier François Le Bescond, qui nous avait offert la chance de faire cet entretien. Un des plus précieux souvenirs de ma vie de lecteur.

Mes condoléances aux siens.

Interview de Fred dans Le Goinfre : Fichier PDF

Denis Bajram

Le mercredi 3 avril 2013

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Fred, Denis Bajram et Philippe Marcel au domicile de Fred.
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Silence
© Comès / Casterman
 
Décès de Didier Comès

UN GRAND SILENCE

À l'heure actuelle, je pourrais très bien être un auteur de comics aux USA. La rencontre avec Strange et les super héros Marvel dans mon adolescence avait été tellement intense que cela m'avait totalement éloigné de la BD franco-belge. Je ne relisais plus que mes vieux Tintin…

C’est quelques chefs d’œuvre qui m'ont ramené dans le "droit chemin". Les deux premiers furent La Fièvre d'Urbicande et La Tour de Peeters & Schuiten. Enthousiaste, j'achetai alors les deux autres albums de la collection (À Suivre) disponibles dans ma maison de la presse de province. Le Ici-même de Forest & Tardi. Puis le Silence de Comès. Deux nouveaux chocs.

Trente-cinq ans plus tard, me voici chez Casterman. J’ai donc l'honneur et l'énorme plaisir de pouvoir discuter confraternellement avec ces auteurs qui ont bouleversé mon chemin créatif.

Au dernier festival d'Angoulême, Thierry Bellefroid m'a présenté à Didier Comès dont il assurait le commissariat d’exposition. Très impressionné, je lui ai dit toute l’importance qu’avait eu Silence pour la jeune tête remplie de super héros qu’avait été la mienne. Et je me suis enfui, en me disant que j’aurais bien d’autres occasions de discuter avec lui.Ce matin, j’apprends son décès. Je resterai donc sur cette courte rencontre, et sur la longue standing ovation que la BD lui a faite au théâtre d’Angoulême lors de la remise des prix.

Mes condoléances à toute sa famille. Moi, je me sens un peu orphelin.

Denis Bajram

Le jeudi 7 mars 2013

Pour mes confrères auteurs de BD

VERS UNE "DÉPROFESSIONNALISATION" DE LA BD ?

Ca fait des années que je suis sûr qu'on va vers la disparition des avances sur droits pour la majorité des auteurs de BD.

Comme dans la littérature, seuls les gros vendeurs et quelques stars de la hype en auront. Ils toucheront même des avances démesurées, liées à une concurrence acharnée des éditeurs pour les récupérer.

De l’autre côté, il faudra apprendre à ne travailler que le soir et le week-end, en rentrant de son "vrai" boulot. D'autant plus que le "dessin nouvelle BD" (pour faire court) permet souvent de faire un album dans des rythmes rapides proches de ceux de la littérature…

Enfin, la pléthore de candidats à l’édition fait qu’il y en aura toujours pour accepter de ne pas être payé en avance, surtout grâce au bon pli de la production gratuite pris sur internet.

Bref, toutes les conditions sont réunies pour ce basculement. Alors, avec une crise par dessus, qui servira d’excuse, ca ne saurait tarder… La seule question est : quel éditeur osera le premier ?

Denis Bajram

Le vendredi 5 octobre 2012


Ceci est un commentaire que j'ai fait sur un post Facebook de Luc Brunschwig. Je le reposte ici en public car j'ai réalisé que beaucoup d'auteurs n'avaient pas conscience de ce risque. Je ne veux surtout déprimer personne, une BD "déprofessinalisée" (désolé pour cet affreux néologisme) est tout autant capable de nous donner des chef d'œuvres. Mais il vaut mieux prévoir d'avoir une autre profession en parallèle…
Cette page a été modifiée pour la dernière fois le mercredi 10 février 2016. © 2017 Denis Bajram