BD Gest, janvier 2005

INTERVIEW DENIS BAJRAM
par Christophe Steffan

En ce mois de juin, Denis Bajram additionne les actualités : sortie de l'ultime album d'Universal War One, présentation de sa technique de conception d'une BD entièrement par ordinateur, et lancement de sa maison d'édition au sein du Groupe Soleil : Quadrant Solaire. L'occasion était trop belle pour passer à côté d'un tel sujet, BDGest' vous présente une interview et une expositions qui ne sont pas vraiment comme les autres.

Sur la proposition de Denis Bajram, nous avons tout d'abord posé nos questions à certains de ses proches avant que celui-ci n'y réponde et ne réagisse aux autres points de vue. Comme il l'a longuement développé dans d'autres interviews, Denis Bajram a entièrement réalisé son dernier album sur palette graphique. Fin mai, l'auteur d'Universal War One a ainsi présenté sa nouvelle méthode de travail au salon Adobe de la Villette (voir News du 31 mai). BDGest' et les éditions Soleil vous présentent le film de cette conférence. 

La science et Universal War One

Avec la participation de Léo, dessinateur scénariste de la série Aldébaran.

BDGest' : la science pèse de façon importante dans votre oeuvre. Comment abordez-vous cette approche dans votre travail ? Cela implique-t-il des restrictions vis-à-vis du scénario, afin de rester crédible ? Comment un auteur perfectionniste ressent-il le risque de voir peut-être un jour réfutées les théories sur lesquelles il base son histoire ?  

Léo : Tout mon imaginaire est conditionné par la volonté d'être crédible. Ainsi, quand j'invente quelque chose, j'ai toujours la préoccupation d'avoir une explication plus ou moins plausible, même si elle ne sera pas abordée dans le récit.  

Je ne vois pas cela comme un frein à ma liberté d'inventer : par exemple, la capacité qu'ont mes vaisseaux de dépasser la vitesse de la lumière c'est une absurdité théorique, c'est vrai, mais la physique quantique est si complexe et déroutante (même Einstein n'a pas compris certains de ses postulats !), que c'est facile d'imaginer une "bizarrerie quantique" pour l'expliquer. Je peux me permettre donc d'inventer mes moteurs à propulsion ionique, ou à impulsion centrifuge, mes piles à fusion nucléaire froide : ce sont des engins difficiles à comprendre mais néanmoins crédibles. Comme les clés USB d'aujourd'hui !  

Je serais, par contre, incapable de faire croire à mon lecteur que mon personnage peut voler comme Superman, ou lever d'un seul bras une locomotive de 50 tonnes, car ça n'a pas de sens.  Quant au risque de voir mes "théories" réfutées, mes histoires se passant d'ici plusieurs siècles, je serai déjà mort et enterré. Et puis, ce n'est que de la BD...  

Denis Bajram : C'est marrant, je n'ai pas d'angoisse là-dessus parce que, comme Léo, je pense que je serai un peu mort quand mes assertions scientifiques seront totalement démontées. Il n'y a rien dans UW1, dans les limites de connaissances scientifiques que j'ai, que je ne pense pas totalement plausible. C'est un moyen pour moi d'être convaincu de ce que je raconte. Ceci dit par rapport à Léo, je trouverai une explication à Superman, et à ce moment je pourrais le raconter : finalement un mec peut voler, c'est sans doute faisable. Evidement j'aurais beaucoup de mal à faire "c'est parce qu'il est né sur une planète de la choucroute et la choucroute lévite". Ca je ne pourrais pas.  

Le but d'UW1 n'est pas de faire une fiction scientifique, c'est de faire une fiction logique. Je serai très embêté qu'on prenne en faute mon circuit logique de voyage dans le temps, que je dise que le temps n'est pas modifiable mais qu'il le soit. Ou que mes postulats sur des wormholes orientés dans l'espace soient démontés à terme. Parce que ce sont des trucs qui n'existent pas, j'ai complètement inventé ça : les wormholes sont normalement des trous ouverts dans tous les sens, or mon idée c'est qu'ils sont focalisés dans une seule direction : oui, ça n'existera sans doute jamais mais en même temps ce n'est pas plus aberrant que ça en physique.   

BDGest' : Vous utilisez la science comme un outil ou comme une motivation d'histoires à raconter ?  

Denis Bajram : C'est un contexte, comme la religion ou beaucoup d'autres choses. Quand je travaille j'ai beaucoup de mal à oublier ma culture scientifique, religieuse, politique etc... S'il y a tout ça dans UW1, c'est que c'est moi à 100%. C'est pour ça qu'on y parle peu de cuisine, par exemple, j'y suis d'une incompétence dangereuse. Si j'étais bon cuisinier, je pense que Kalish ferait des petits plats.  

BDGest' : Vous n'avez pas peur de tout mettre dans UW1 et de ne plus avoir à vous exprimer dans vos prochains albums ?

 Denis Bajram :  Il y a un gros problème dans UW1, c'est que je ne peux pas parler d'un tas de chose qui me passionnent ; ça limite quand même le champ. Par exemple à aucun moment on ne parle d'informatique sérieusement. Les gens qui me connaissent de près savent que je suis aussi développeur, et passionné de ça, j'aurai plein de choses à dire sur ce sujet. Ca ne s'y prêtait absolument pas, à tel point que dans UW1 il n'y a pas d'intelligence artificielle : de moi-même j'ai décidé qu'il y avait eu un moratoire sur ce terrain là et que l'informatique était figée au niveau actuel parce que les gens ne voulaient pas avoir d'intelligence artificielle en face d'eux. J'ai donc trouvé une explication au fait qu'il n'y avait pas eu de progrès informatique, mais je n'ai pas voulu l'intégrer dans les albums. Je ne vais pas tout justifier dans UW1, mais je ne peux pas m'empêcher d'y penser.  

Si un jour il y avait la "Bible" d'UW1 faite par quelqu'un, on aurait toutes les explications que j'ai trouvé à chaque fois que je me rendais compte que j'avais été absent ou léger sur un endroit.  

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